Ouistreham le 29/5/08

PREMIERE BORDEE DE BALTHAZAR



Anne-Marie et moi sommes très heureux de vous accueillir aujourd’hui à Ouistreham pour participer à cette première bordée de Balthazar, bordée étant ici bien sûr, au sens marin figuré du terme, c’est-à-dire des marins, copains/copines ou autres tirant ensemble des bords dans un port. Comme nous tous, à des étapes particulièrement importantes et heureuses de notre vie, nous souhaitions partager ce moment avec nos ami(e)s les plus proches.

Comme vous le savez peut-être un pépin relativement sérieux de santé en 2006 m’a permis de réfléchir quelques jours à l’hôpital avec un certain recul sur les choses de la vie et en particulier, pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, à mon avenir de marin.

L’expérience et le plaisir exceptionnel acquis avec notre fidèle Mikado MARINES en 16 années de navigation et environ 35000 milles parcourus entre 10°N et 78°N me conduisent à envisager de grandes navigations dans les années à venir puisqu’il y a tant de lieux et de gens extraordinaires à découvrir ou redécouvrir sur les océans et autres mers.

A la suite de cette réflexion, bien qu’extrêmement attaché comme vous le savez à MARINES qui nous a toujours ramené à bon port, j’ai conclu, en me surprenant moi-même puisque je n’y songeais pas quelques mois avant, qu’il n’était pas complètement déraisonnable (est-ce bien vrai ? c’est plutôt une folie mais arrivant au troisième âge on peut bien se faire plaisir quand on a la chance de le pouvoir, et à 67 ans c’est maintenant ou plus jamais..) de confier MARINES à de bonnes mains et d’acheter un bateau neuf bien adapté au programme que j’envisage.

Je ne résiste pas, avant de vous parler de Balthazar, d’évoquer avec vous et ceux d’entre vous qui les ont partagé, quelques merveilleux souvenirs de nos croisières ainsi que des moments exceptionnels ou comiques :

- l’atmosphère très particulière des îles d’ARAN, sur la côte W de l’Irlande, avec ses murs de pierre transparents mais millénaires abritant des parcelles chèrement gagnées et partagées par les paysans de l’an mille dominant les grandes houles d’W du haut de falaises à pic (souvenez-vous Roland et Hedwige de notre balade en vélo)

- l’austérité et la grandeur des lochs écossais et l’insularité évoquant encore les Vikings des îles Orcades et Shetlands

- les superbes et sauvages côtes de Norvège où les hautes montagnes se précipitent dans la mer et où certain(e)s (Anne-Marie et Michel en particulier) mangent apparemment avec délices au petit déjeuner des poissons crus

- les magnifiques îles Lofoten dont on aperçoit les montagnes à près de 60 milles de distance à toucher de la main tellement l’atmosphère était translucide, leurs petites maisons de pêcheurs colorées, et leur longs séchoirs de morues en plein air

- la découverte du soleil de minuit et des bancs de glace du Spitsberg, des phoques goguenards se prélassant à quelques mètres sur des growlers s’étendant à perte de vue sur 360° pendant que nous cherchons pendant 36 heures sans discontinuer à forcer un passage à travers ces champs de glace, guidés par un Claude Laurendeau frigorifié dans les barres de flèche (il est malheureusement cloué au lit avec un lumbago après avoir soulevé inconsidérément une charge très lourde et est très malheureux de ne pas être avec nous , il serait déjà monté en haut du mât s’il était là !)

- le merveilleux voyage de MARINES à travers la Suède par le Gotha canal, les grands lacs et l’archipel de Stockholm ( souvenez-vous Nenad et Francine)

- la mer Baltique que nous parcourûmes avec Philippe dont les villes nous rappellent l’histoire de la Ligue Hanséatique

- nos côtes de Bretagne Nord chère notamment à Charles et Marie-Odile, la charmante et très british Cornouaille, les îles Scilly (vous souvenez-vous Nenad, Hedwige et Roland, de cette belle escapade sur Mérak) et la Bretagne Sud que nous aimons tant et qui abrite, au Crouesty, notre port d’attache. C’est dans cette Bretagne Sud ainsi qu’en Irlande que notre fils regretté Vincent trouvait avec ses copains sur Marines des moments de joie et de sérénité malgré la terrible maladie qui l’emmurait et qui devait l’emporter

- l’île d’Yeu chère à Roger et Elizabeth (te souviens-tu Roger de cette nuit noire mais noire où après un repas bien arrosé chez toi nous eûmes du mal à retrouver toi ton chemin moi Marines), l’île de Ré chère à Yvette où nous eûmes le bonheur de marier notre fils Christophe à Aude (les gens du port de St Martin de Ré ont été surpris de nous voir sortir de Marines sur le quai en queue de pie et grand chapeau pour nous diriger vers l’église d’Ars, je ne peux manquer à l’occasion d’adresser une pensée à Jacques, le père d’Aude, qui nous a quitté et nous manque tant).

- les rias de Galice et St Jacques de Compostelle, leur brouillard parfois à couper au couteau, moment délicieux ou on avance dans un silence et un isolement total, tous les sens aux aguets pour se diriger (on avait par moment du mal à voir le balcon AV), le Portugal chargé d’histoire notamment maritime, le cochon de lait grillé de Coimbra flairé par Nenad, l’arrosage de la naissance de Laure à Viana do Castello tu t’en souviens André, le jour de la grande fête locale avec défilés des villageois des alentours en costumes d’époque, les sardines grillées de Peniche, Lisbonne, ses bars à Ginja, ses chanteuses et chanteurs de fado qu’adore Mimiche (pas vraiment !), son musée maritime exceptionnel évoquant la saga des découvreurs du cap de Bonne Espérance et de l’Inde, Sintra avec ses anciens palais et jardins que tu nous fis visiter, Christian avec Bernard, les bancs de Trafalgar que nous avons serré de vraiment trop près par un sale temps (souvenez-vous Jean et Michel), le Cap St Vincent, l’Algarve et la remontée sur près de 20 milles du rio Guadiana à travers un paysage semi-désertique et totalement préservé avec ses cigognes , l’Andalousie à Puerto Sta Maria où se danse encore l’hiver entre andalous le vrai flamenco (cette vieille dame et ses castagnettes !) , Séville, Grenade

- le détroit de Gibraltar que nous passâmes une fois d’Atlantique en Méditerranée en tirant des bords par une brise musclée entre des champs de tir en exercice, des rails surchargés de cargos et autres porte containers et en cherchant les courants favorables ou plutôt les moins défavorables

- la Méditerranée si riche d’histoires, de peuples, de religions, d’architectures : Tanger où Albertine vida son sac à l’eau au « yacht club » pompeusement appelé ainsi , simple Algeco gardé par un homme sympathique en burnous, et où tout fut récupéré grâce à son épuisette , Tétouan et ses souks, les remparts d’Ibiza et mon amie des regalos toujours fidèle (Jean te souviens-tu avec quelle maîtrise et autorité elle t’avait servi cette paella tout en te mettant à l’heure dans le ferry que tu craignais de manquer) servant une paëlla que je vous recommande, la procession de la semaine sainte dans la ville, Palma, Barcelone évoquant le rayonnement et la vitalité catalane, cette traversée de Majorque à Barcelone par mer plate,t’en souviens-tu Michel, dans un silence troublé seulement par le léger chuintement de l’étrave, poussé à 6 nœuds pendant 24h sans toucher au cap sous le seul spi AV et spi d’artimon par un zéphyr traversier dont la Méditerranée a le secret qui ridait à peine la surface plane de la mer, la Corse, la Sardaigne, la Sicile, ces îles de caractère que nous visitâmes si souvent, l’arrivée magique au crépuscule sous les ruines de Carthage, l’échouement imprévu à la nuit tombante devant le musoir ensablé serré d’un peu trop près du petit port de Bou-Saïd, sous les yeux narquois de l’équipage de relève qui était au rendez-vous aux premières loges sur le dit musoir pour apprécier la manœuvre de mise en gîte sur ancre avec la drisse de spi frappée à un long bout et dégagement de Marines, la passion d’Albertine pour les ruines de Carthage qui l’a fait surnommer Miss Punique par Evelyne, cette merveilleuse et rapide traversée un week-end de onze Novembre de Monastir à Malte en 48h tout dessus à près de 8 nœuds sans toucher ni à la barre ni aux écoutes, Marines donnant toute sa puissance au bon plein, l’arrivée au coucher de soleil sous les remparts de La Valette, chargés de l’histoire des chevaliers de Malte et de leurs combats contre les Turcs, la traversée directe de Malte à Pylos au Sud du Péloponnèse où un groupe d’hirondelles bleutées vint se blottir un soir au soleil couchant dans le creux de la voile sur la bôme, trouvant probablement que nous avions le bon cap, et qui s’envolèrent au petit matin (il faut être oiseau pour faire du bateau-stop !), la Grèce mythique et ses paysages inoubliables, le Péloponnèse, la mer Egée et ses chapelets d’îles toutes différentes, Santorin village blanc fragile incroyablement posé au bord d’un volcan envahi par la mer après une gigantesque explosion comparable à celle du Krakatoa, les îles ioniennes , Corfou, les superbes filles du Montenégro qui nous ont tant émues, les remparts escaladant la montagne de Kotor, la superbe côte dalmate et ses villes anciennes chargées d’histoire et d’architecture, vénitienne notamment, Budva, Dubrovnik, Hvar, Korçula, Trogir, les îles Kornati, lunaires dans une eau turquoise et cristalline, et last but not least notre superbe côte provençale avec à son cœur Marseille et son merveilleux Vieux-Port, berceau de mon enfance et de ma jeunesse, au bord duquel mon ami André Mouren à la chance d’habiter. Un grand coup de chapeau au passage André à ton fils Jean-Paul qui, à 55 ans, vient de remporter brillamment avec Pellecuer, l’AG2R. J’espère très prochainement qu’il viendra me conseiller pour apprendre à bien régler les voiles de Balthazar.

- Madère et ses jardins exotiques, ses promenades aériennes pour ne pas dire vertigineuses le long des canaux d’irrigation à flanc de montagne

- Lanzarote et son paysage minéral, volcanique et quasi-désertique où les habitants habiles parviennent à faire pousser des vignes au fond d’entonnoirs creusés dans des déserts de pierres, uniquement arrosés par la rosée de la nuit

- La descente de la côte africaine vers les îles du Cap Vert (Eckard, Roland souvenez-vous ce rythme endiablé sous spi au surf ce qui était rare sur Marines et le capitaine vous déclarant à la fin du dîner pris tranquillement dans le carré –maniez-vous les gars il va falloir rentrer le spi qui va exploser, nous avons force 7- ma phrase à peine terminée j’entends un grand bruit et me précipitant dans le cockpit je ne vois plus qu’un grand ciel étoilé , le spi ayant disparu ! Nous le retrouvâmes sous le bateau à la lumière des projecteurs de pont, la fixation de la poulie de drisse ayant lâché mais pas le spi lui-même . Nous passâmes une partie de la nuit à le dégager délicatement en le mettant en chalut puis en le montant à bord par l’arrière très difficilement sur une mer très forte. Arrivés à St Vincent, une des îles du Cap Vert, je fus surpris de constater que seulement 4 ou 5 patchs suffirent à le réparer. Il fit ensuite la traversée A/R de l’Atlantique sans problème ainsi que plusieurs autres croisières. Il finit quand même par rendre l’âme l’été dernier en doublant la botte italienne de retour de l’Adriatique après, Jean-Paul vous avez bien entendu, 22 années de croisières intensives !

- Mindelo, ses Capverdiens très pauvres mais dignes, gais et accueillants, le marché aux fruits et légumes multicolores d’une propreté qui feraient de l’ombre à nos marchés, avec des produits maraîchers naturels qui traversèrent l’Atlantique sans dommages dans le coffre à légumes contre la coque.

L’anniversaire de Roland qui nous traita comme un prince à Mindelo au son d’un orchestre capverdien, la balade superbe sur l’île voisine de San Antao dans un taxi collectif haut en couleurs, l’accueil dans un village de pêcheur face à l’Atlantique de bout du monde au fond d’un bar par un « Oh Laurendeau !!! » tant notre ami Claude Laurendeau est célèbre dans le monde entier, le broyage de la canne à sucre par un moulin de pierre datant de Louis XV mû par un bœuf baptisé par le patron Napoléon. Nous arrosâmes cette visite de distillerie en dégustant dans des coupes de noix de coco du vieux rhum et un punch spécial maison.

- la traversée Atlantique au cours de laquelle, dans une atmosphère sereine, sous des ciels magnifiques et des couchers de soleil sur l’étrave somptueux, nous naviguâmes deux semaines au sextant, GPS scotché, faisant des droites de hauteur sur tous les astres, soleil, lune, ,planète, étoiles qui nous tombaient sous la lunette. Quel plaisir de retrouver ce petit doute du navigateur quand vers 3h du matin le 14ième jour j’ai déclaré solennellement à l’équipage que l’on ne devrait pas tarder apercevoir à 1 heure (30° sur tribord) le phare de la Désirade, quelle satisfaction quand on l’identifia. La navigation au GPS tue cette poésie de naviguer avec les astres et prive de tout suspens. Elle endort tellement le sens de la navigation, le fameux monologue du doute du navigateur, qui relève les courants, estime les dérives, recale dès qu’il peut son point, que beaucoup de bateaux coulent les yeux fermés en montant sur des cailloux à 8 nœuds poussés par un courant traversier sournois (c’est le cas du nouveau propriétaire de Marines qui a détruit aux Caraïbes il y a deux ans un Mikado qu’il avait remis complètement à neuf), où qui croient dur comme fer (j’ai eu du mal à te l’expliquer André Mouren) que puisque le GPS est précis à 10 mètres près voire moins, le point sur la cartes a cette précision, oubliant que les tracés de côte ont été faits souvent au 19ième ou début du 20ième siècle et que les imprécisions peuvent atteindre le mille nautique,c’est le cas très probable d’un beau ketch dont on ne voyait plus que la pomme des mâts que nous avons vu près de l’anse d’Arlet à 100m du cap ouvrant sur la baie de Fort-de-France).

Un grand merci, Eckard, pour la production, en un certain temps…, du beau film que tu as fait au cours de cette traversée qui rend très bien compte de notre aventure commune.

- La gigantesque côte de bœuf que Will, cousin d’Hedwige kiné à Pointe-à-Pitre, nous a offert sur son barbecue à l’arrivée

- Je ne peux pas André ne pas évoquer la merveilleuse croisière aux Grenadines que nous fîmes ensemble avec Catherine, Anne-Marie et Mimiche, allant de mouillages en mouillages dans des eaux turquoises d’une transparence extraordinaire, Tobago cays, Petit Tabac, Carriacou et les autres. Tes pêches au Lambi et à la langouste. Nous adressons tous une pensée émue à Catherine qui lutte en ce moment avec un courage qui force l’admiration contre une terrible maladie. Avec sa sensibilité et son sens de la poésie elle nous a offert un film de cette croisière que nous gardons précieusement.

- Marines nous a aussi emmené à Antigua sur les traces de Nelson, l’île merveilleuse et désertée par les voiliers (parce qu’il faut remonter un peu l’alizé pour y parvenir) de Barbuda, nous y sommes restés deux jours seuls entre une plage absolument blanche et un récif de corail de plusieurs kilomètres de longueur où nous allions avec un masque et des palmes observer les poissons multicolores, nous avons transporté l’annexe par-dessus la plage pour traverser ensuite un lac salé intérieur d’un bon mille de largeur, pour visiter l’unique village pauvre mais apparemment serein de Codington qui a jusqu’à présent refusé les offres alléchantes des promoteurs pour y développer le tourisme . On comprend ses habitants et les admire à la fois.

- Iles Vierges offrant des sites enchanteurs comme aux Baths, Bermudes américanisées après une traversée étrange de la mer des Sargasses, traversée Bermudes/Açores pendant laquelle j’expérimentais pour la première fois (je n’avais pas encore de PC à bord) au cours de ces 1900 milles la définition de la route optimum tenant compte de la situation météo. Nous avions à notre bâbord pendant trois/quatre jours une dépression très creuse avec fort coup de vent à tempête et à tribord l’anticyclone des Açores . Le jeu a consisté à faire une trajectoire en forme de S baro (bien étalonné) calé à 1012Hpa, quand la pression baissait et que cela soufflait trop fort avec de belles déferlantes je mettais de l’E dans mon cap, quand la pression augmentait et que le vent mollissait je mettais du Nord dans mon cap. Nous avons eu la chance de constater que les cartes isobares météo prévision à 5 jours qui nous avaient été remises aux Bermudes étaient à peu près justes, ce qui est d’ailleurs de plus en plus fréquent. A l’arrivée aux Açores, en bonne forme et après une traversée relativement rapide (11 jours), nous avions accueilli après nous plusieurs bateaux qui avait eu de sérieux dégâts (bateaux couchés, étai rompu, homme à la mer, balcons tordus..) des gens épuisés et ayant mis plusieurs jours de plus que nous. C’est là que je me suis dit qu’un peu plus de réflexion que le suivi comme des boeufs de la meilleure route statistique permettait de faire une route plus rapide, moins dangereuse et plus confortable. (contrairement à ce que l’on pourrait croire, sauf en de rares situations, on ne va pas vite par gros temps).

- L’archipel des Açores, sorte d’Auvergne sur mer, est très attachant et accueillant. Il donne envie d’y retourner pour mieux le connaître.

A la fin de cette évocation trop longue, je vous prie de m’en excuser, Marines ne serait pas Marines sans quatre catégories particulières d’équipiers/équipières que je remercie d’être avec nous aujourd’hui :

- les pêcheurs, Michel Guyot en tête que mes petits enfants appelle Michel des cannes à pêche. Pratiquement à chaque traversée tu sors un thon rouge ou albacore, parfois un espadon. Seules les morues de Norvège pour une raison qu’il nous faudra éclaircir en y retournant ont résisté à tes appâts. Jean Tessier (qui malheureusement avec Brigitte a dû se décommander en dernière minute à cause d’une hernie) et André Mouren sont eux plutôt adeptes de la pavane et de la mitraillette et réussirent à sortir d’un seul coup trois cabillauds aux Scilly ! Coïncidence ces pêcheurs sont de fins cuisiniers et nous régalent de poisson tahitien, de tartare et autres préparations savoureuses. Il faut dire qu’il y a à bord une solide tradition de bonne cuisine ainsi qu’une saine compétition entre Anne-Marie, Michel, André Mouren (l’autre André c’est autre chose !) mes belles sœurs et Mimiche. Michel je te prie de m’excuser des justes colères que tu as eu lorsque tu viens juste de dérouler soigneusement ton matériel et que je ne peux résister à accélérer en profitant du vent qui rentre. Tu m’as quand même appris des choses puisque nous sortons à notre tour de belles dorades coryphènes aux couleurs splendides et des thons comme, avec Maurice et André, lors de notre retour de Méditerranée en Septembre.

- Les peintres, Philippe Reboul et Jean-Jacques Littot qui malheureusement n’a pas pu venir aujourd’hui. Quelle puissance d’évocation Philippe tes deux tableaux offrent, dont l’un que tu as fait depuis le pont avant par bonne brise en Baltique ce qui est sidérant. Avec grand calme tu rangeais tes outils quand je t’indiquais qu’il allait falloir virer de bord, puis reprenais tranquillement le fil de ton œuvre. Jean-Jacques quant à lui s’échappe seul en annexe au mouillage et reviens un couple d’heures après avec une aquarelle très fine et délicate ou un pastel comme celles du bout du Péloponnèse.

- Les alpinistes et autres varappeurs, les Claude Laurendeau et Carrière, mélange détonnant, le premier dit Boulégan sans cesse agité et montant au sommet du mât plusieurs fois par jour, champion des nœuds et bosses en tous genres, l’autre posé mais impulsif quand même, tous deux vieux compagnons de cordée depuis nos débuts (jeunesse, jeunesse…).

- Il y a enfin nos petits enfants Hugues, Grégoire, Côme et Laure. Que de cavalcades effrénées dans le bateau, de parties d’annexe (nous la remplissions d’eau en mouillage en eau profonde et c’était leur piscine lorsqu’ils étaient petits) en Grèce, en Espagne, en Algarve ou en Corse l’été dernier. Quand je leur ai appris il y a quelque temps que j’avais décidé de vendre Marines et d’acheter un nouveau bateau le sol leur a manqué sous les pieds et le grand Père s’est fait sérieusement secoué. Ils sont cependant séduit par les photos de Balthazar et je n’ai plus trop d’appréhension à aller le leur présenter à Portsmouth à la fin du mois prochain.

Vous avez compris qu’un bateau de grande croisière est, tout au moins pour moi, une formidable machine non seulement à rêver mais aussi à réaliser ses rêves et à s’apercevoir que cette réalité dépasse souvent le rêve.

Vous avez aussi compris qu’Anne-Marie et moi ne se sont pas séparés sans nostalgie de Marines qui aura offert une contribution importante à 16 années d’une tranche de vie.

Mais on ne vit pas dans un rétroviseur et l’achat d’un superbe sloop de grande croisière GARCIA a précisément pour objectif de gagner de nouveaux horizons.

Je vous dois d’abord une explication : pourquoi l’appeler Balthazar ? Nous avions d’abord penser l’appeler Marines II en soulignant une filiation avec MARINES . Mais nous n’étions Anne-Marie et moi pas très satisfaits car ce nouveau bateau écrira une nouvelle histoire et Marines c’est Marines. Ayant opté pour la rupture c’est le prénom de mon seul ancêtre marin en ligne directe qui a prévalu. Un beau prénom qui sonne bien, fait solide et annonce le rêve et l’aventure. Il s’agit donc d’un hommage à Balthazar DALLEST, petit fils d’un pêcheur de CASSIS, né probablement en 1622 à La Ciotat, il s’est fait lui-même et arrive à être capitaine de vaisseau de commerce. Il commanda les navires marchands « La Madone de Larco » et » St Antoine de Padoue ». Il fallait être habile et courageux à l’époque de Louis XIV pour faire du commerce à la voile entre Marseille et les Echelles du Levant comme on désignait à l’époque les comptoirs d’Alexandrie, Haïfa, Beyrouth, Smyrne ou Constantinople, à la fois pour manier ces grands voiliers sans moteurs et remontant mal au vent dans une mer capricieuse faite de calmes et de coups de vent, et infestée de pirates des côtes corses, sardes, sicilienne, africaines, grecques et autres. Il épousa à Constantinople le 15/11/1658 Lucrèce Guérin, le contrat de mariage étant passé à la chancellerie de l’Ambassade de France à Constantinople. En 1666 il s’achète pour 3881 piastres le vaisseau St Augustin qui était alors dans le port de Villefranche et devient son propre armateur en même temps que commandant de vaisseau.

Balthazar est un bateau de grand voyage construit par le chantier GARCIA spécialiste du genre, connu pour la grande qualité de ses productions de grands voiliers en aluminium.

J’ai fait le choix de GARCIA et de ce sloop de 17,40m après un examen approfondi des meilleurs chantiers européens suédois, allemands, italiens et bien sûr français. C’est ce chantier et ce modèle qui correspondait le mieux au programme de grandes croisières que j’envisage alliant grande qualité de réalisation, robustesse, caractère marin, tenue par gros temps, simplicité des réductions de voilure, grande autonomie, faible tirant d’eau mais capacité d’un bon près par sa grande dérive intégrale plongeant à 3,60m, et grand confort douillet pour notre troisième âge. Je vous ai donné ou vous donnerai plus de détails pendant la visite. Gonzague Lemazure son propriétaire et Jean-Paul Bernier, son Directeur général, ont pris sur leur temps pour partager ce moment avec nous et je les en remercie.

Mon cher Jean-Paul (Bernier, à l’époque Directeur du chantier), Jean Louis GARCIA le fondateur, avec son frère et ancien patron charismatique de ce chantier vous avait prévenu devant moi en signant le contrat que les Polytechniciens sont les pires clients. Il ignorait que j’étais en plus ingénieur de Sup’aéro et que j’avais travaillé pendant un quart de siècle sur la construction des lanceurs de satellites Diamant puis ARIANE. Il y avait donc un choc inévitable de culture avec l’industrie du nautisme. Je vous remercie de votre très grande patience ainsi que de celles de vos collaborateurs et compagnons pendant la construction face à une cinquantaine de pages serrées d’exigences particulières (les specs), plus d’une centaine de courriels et plusieurs centaines de questions.

Sachez que je respecte énormément votre chantier et vos compagnons qui ont le goût du travail soigné et la patience d’écouter le client, même s’il peut leur paraître par moment (pas toujours) capricieux. Je suis confiant que nous sommes arrivés à un croiseur de grande qualité et très abouti et j’ai hâte avec mes amis de l’essayer en mer ces jours prochains et de le prendre en main à partir de la mi-Juin.

J’ai l’intention après une croisière test en Irlande au mois de Juillet et après le Grand Pavois de La Rochelle où vous m’avez demandé de pouvoir le présenter, d’appareiller à la mi-Septembre pour le Grand Sud.

Je citerai simplement Erick Orsenna :

« Dans le Sud, le Grand Sud, bien au-delà des parallèles rugissants et hurlants est un miracle. Un miracle fragile de glace et de silence, de beauté et de paix. Une terre pas comme les autres : aucun drapeau n’y flotte, aucun propriétaire n’y règne. Elle n’appartient à personne. Ses seuls visiteurs sont des invités temporaires, des savants venus interroger ses secrets. »

Voilà. Il appartient à BALTHAZAR de gagner ces nouveaux horizons et de tracer les pages de cette nouvelle aventure.

Je vous propose de boire à la santé du chantier GARCIA et à celle de BALTHAZAR et ses équipages.

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